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Les principes dont les Tunisiens devraient exiger l’inscription dans leur nouvelle Constitution en gestation s’ils veulent que leur pays aille vers le progrès, la démocratie et l’alternance.

Par Rachid Barnat


Je ne suis pas un spécialiste du droit constitutionnel et je sais qu’il existe en Tunisie de nombreux universitaires de haut niveau maîtrisant absolument ces questions. Ils diront, le moment venu, ce qu’ils pensent de la Constitution qui sera choisie par l’Assemblée nationale constituante (Anc). Je voudrais, plus simplement, dire ce que tous les Tunisiens devraient exiger de leur nouvelle Constitution en gestation s’ils veulent que leur pays aille vers le progrès.

Je n’oublie pas également que quelle que soient la clarté et la beauté du texte, c’est la façon dont elle sera appliquée dans la pratique qui comptera. Je pourrais citer, en effet, mille constitutions remplies de beaux principes dans des pays qui sont, malgré cela, des dictatures évidentes.

Il faut cependant – c’est un préalable – que la Constitution rappelle d’abord les grands principes qui ont été les exigences des révolutionnaires et que les Tunisiens veulent voir inscrits clairement dans le texte. Ils se sont battus pour ces principes et n’accepteront pas de les voir écarter.

D’abord les libertés! Toutes les libertés car elles sont le fondement d’une réelle démocratie. Le mot démocratie est vide de sens si les citoyens ne bénéficient pas des libertés d’expression (aujourd’hui d’internet), d’association, de se réunir, de créer et de participer à la vie syndicale, de la presse sous toutes ses formes, de manifester pour exprimer leur mécontentement.

Les Tunisiens, depuis le 14 Janvier 2011, ont connu la liberté et je suis absolument certain qu’ils n’accepteront pas de la voir reculer.

Mais il faut ici faire très attention à la façon dont ces textes seront rédigés et les projets actuels d’Ennahdha sont particulièrement inquiétants et porteurs de lourdes menaces.

En effet tout en se déclarant favorable aux libertés, notamment d’expression, le projet d’Ennahdha s’empresse de dire que c’est sous réserve d’atteinte à l’ordre public, aux bonnes mœurs et au sacré, trois notions totalement vagues et qui permettront au pouvoir de gravement porter atteinte aux libertés et d’instaurer ainsi une véritable dictature religieuse.

Alors, certes, la question est technique, mais les Tunisiens doivent s’en emparer et exiger le retrait de ces limitations «vagues» qui annulent l’idée même de liberté. Cette préoccupation est parfaitement analysée dans un article du professeur Jawhar Ben Mbarek; et de son côté l’association Article 19 met en évidence le fait que le projet concernant la presse est contraire aux normes internationales et constitue une menace sur cette liberté.

En second lieu les Tunisiens, fiers d’avoir été le seul pays arabo-musulman à assurer, en grande partie, l’égalité des hommes et des femmes, n’accepteront pas que l’on revienne de manière ou d’une autre sur cet acquis qui devra même progresser. Il faudra donc que la Constitution soit claire sur cette question car les paroles rassurantes des uns et des autres ne sont pas suffisantes. Il faut que cela soit inscrit dans les principes intangibles de notre pays.

En troisième lieu et quel que soit le régime choisi (présidentiel, semi-présidentiel, parlementaire…), l’essentiel est que les mécanismes qui seront mis en place assurent deux choses:

- la possibilité de dégager une majorité claire et stable. Rien ne serait plus dommageable que l’émiettement des responsabilités, source de division, de surenchère et, en définitive, d’impuissance.

Il faudra donc un pouvoir fort et stable pour assurer le développement du pays.

- En contrepartie de cette stabilité, il faut que les mécanismes constitutionnels permettent de revenir régulièrement devant les électeurs de manière à assurer une alternance qui est la vraie et seule marque véritable de la démocratie.

Enfin, les libertés étant prévues et protégées, le gouvernement étant assuré de stabilité et de possibilité d’action, il faudra que la Constitution organise les mécanismes destinés à rendre ces prescriptions obligatoires.

Pour cela une Cour suprême devra être mise en place avec des membres dont l’indépendance totale sera assurée, qui sera chargée de contrôler la constitutionnalité des lois de façon que l’on ne se trouve pas dans la situation de pays qui proclame la liberté d’expression et dont les lois et la pratique gouvernementale aboutissent à nier cette liberté et à la bafouer.

La Cour suprême dans cette hypothèse sera en mesure d’annuler les lois qui contrediraient les principes de la Constitution.

Il n’y a pas non plus de réelle démocratie quel que soit le texte constitutionnel, si l’indépendance des juges du fond n’est pas assurée.

La Constitution devra affirmer clairement l’indépendance des juges du fond et organiser les moyens techniques de cette indépendance.

Manifestants devant le siège de l'Assemblée constituante au Bardo.

Si l’ensemble des principes évoqués ici brièvement, et que chacun peut parfaitement comprendre, sont respectés, alors la Tunisie aura gagné. Et la démocratie et le progrès du pays seront au rendez-vous.

Voilà donc les principes auxquels les Tunisiens doivent être attentifs mais il faut maintenant qu’ils réagissent et exigent de la Constituante qu’elle fasse son travail (le seul pour lequel elle a été élue) dans le délai.

Aucune excuse ne peut être avancée sérieusement pour ne pas respecter ce mandat du peuple.

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