L’affaire du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct) a été une occasion de plus pour montrer les dérives totalitaires auxquelles se livre la «troïka», coalition gouvernementale au pouvoir dominée le parti Ennahdha.

Par Rachid Barnat


Grâce au seul acquis effectif de la révolution d’octobre 1917, pardon de janvier 2011, «la liberté d’expression», les médias, malgré la mise au pas que tente de leur imposer le gouvernement Ghannouchi, parviennent à nous tenir au courant de tout ce qui se passe dans le pays puisque l’information continue de circuler et les Tunisiens se tiennent informés et se passionnent pour l’action politique, eux dont Zaba injuriait l’intelligence par des comptes rendus de ses activités, commençant souvent par la formule stéréotypée d’«istaqbala» (le président a reçu…), frisant le ridicule et remplissant la presse écrite comme les médias audiovisuels, mais faisant toujours honte aux Tunisiens.

Amateurisme, incompétence et mauvaise foi

Par recoupement entre les différentes émissions à caractère politique des chaines de TV, des radios et grâce aux réseaux sociaux, où là aussi il faut faire le tri, les Tunisiens parviennent donc à s’informer «correctement».

L’autre acquis de cette révolution, c’est la transmission des débats de l’Assemblée nationale constituante (Anc) en direct et la multiplication des interviews des hommes politiques ainsi que les «points info» des ministres.

A la faveur de cette profusion d’informations, le Tunisien peut juger de la valeur des intervenants et du degré d’honnêteté intellectuelle des hommes politiques, des anciens comme des nouveaux, dont de plus en plus de jeunes. Car contrairement à ce que veulent nous faire croire Ghannouchi et ses hommes, aussi bien les bourguibistes que les Rcdistes ne sont pas tous corrompus! C’est une malhonnêteté intellectuelle de plus que de soutenir cela, d’autant qu’Ennahdha en recrute à tour de bras. Une malhonnêteté intellectuelle dans la même ligne de leur affirmation que la laïcité est une forme de religion: du populisme à des fins électoralistes!

Or depuis l’arrivée de la «troïka» au pouvoir, les Tunisiens ont pu voir, entendre et comprendre le niveau politique des hommes qui les dirigent. Ils ont décelé l’amateurisme pour ne pas dire l’incompétence de nombre d’entre eux. Mais ils découvrent, effarés, d’autres pratiques qu’ils croyaient révolues depuis la chute du mur de Berlin et le départ de Zaba: ce sont les procès de type stalinien!

L’affaire de Mustapha Kamel Nabli en est un exemple flagrant, rendu plus «visible» grâce à cet homme qui a su résister face aux procédés minables et non démocratiques dont a usé la «troïka» à son égard et au désir de le limoger que manifestait le président de la république et qui voulait, par cette décision, se donner de l’importance en écrasant un homme d’envergure. Mal lui en a pris, car l’homme a le sens de la dignité et de l’honneur! Et il a été coriace dans sa défense.

Ce feuilleton Mustapha Kamel Nabli nous aura donné à voir des hommes politiques d’une «troïka», tous complices d’un procès stalinien dont le verdict était connu d’avance!

Si nous connaissons les procédés et le double langage des hommes d’Ennahdha, nous découvrons les procédés de ceux des deux partis auxquels le mouvement islamiste s’est allié pour former la «troïka» qui gouverne.

Si nous avions fini par comprendre que Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaafar et leurs hommes avalent toutes les couleuvres de leur grand frère Ghannouchi, auquel ils doivent tout aussi bien leur élection en tant que constituants mais surtout leurs postes.

Qui veut tuer son chien…

Nous découvrons, par contre, avec écœurement, ce que sont les pratiques auxquelles se livrent ces deux hommes et leurs troupes, dont le parcours et le militantisme devraient pourtant les en éloigner: la malhonnêteté intellectuelle et l’acharnement dont ils ont fait preuve pour abattre le soldat Nabli!

Il fallait écouter et lire les accusations «graves», nous dit-on, du chef du gouvernement Hamadi Jebali à l’encontre du gouverneur de la Bct! Examinons point par point ces griefs.

Le plus important, apparemment, est que M. Nabli n’aurait pas été efficace en ce qui concerne la récupération des biens mal acquis de la famille Ben Ali. Sur cette question, disons le tout net: M. Marzouki, le gouvernement et la majorité de l’Anc prennent vraiment les Tunisiens pour des incapables à qui l’on peut faire avaler n’importe quoi!

Outre que cette question de la récupération des biens est difficile, elle n’est pas de la compétence directe de la Banque centrale. Elle est de toute évidence du ressort du gouvernement; et d’ailleurs, les ministres concernés (Justice, Finance, Affaires étrangères…) siègent dans la commission chargé du dossier. Pourquoi, dans ce cas, ne s’en prend-t-on qu’au gouverneur de la Banque Centrale ? La réponse est dans la question.

Ce que M. Nabli exprimera plus clairement : que M. Jebali demande à ses ministres de la Justice et des Finances de démissionner!

Par ailleurs, un gouvernement sérieux, compétent et responsable, avant de démettre un haut responsable, lui adresse des instructions claires, et ce n’est qu’en cas de refus de les appliquer ou de mauvaise application qu’il passe à la révocation. Procédure qui n’a à l’évidence pas été mise en œuvre comme le confirme M. Nabli.

Ce gouvernement s’est bien gardé d’adresser la moindre instruction ou mise en demeure, et subitement, parce que Moncef Marzouki veut la tête de M. Nabli, le gouvernement et les constituants de la «troïka» se sont chargés de lui trouver des poux dans la tête !

Cela démontre bien que cette éviction est une décision politique et qu’elle est destinée à imposer «les amis» de M. Ghannouchi dans toutes les hautes fonctions du pays.

M. Nabli a d’ailleurs rappelé, à juste titre, qu’une décision aussi partisane avait été prise en ce qui concerne le directeur général de l’Institut national de la statistique (Ins), les données statistiques n’ayant pas eu l’heur de plaire à ces messieurs de la «troïka» qui veulent sans doute des données statistiques non pas réelles mais qui les flattent!

Plus globalement, le Premier ministre qui brille, il est vrai, par une extraordinaire compétence, a soutenu sans ciller que le gouverneur de la Banque centrale était incompétent.

De qui se moque-t-il? Va-t-on vraiment le croire alors que les organismes internationaux les plus sérieux saluent la compétence de M. Nabli et qu’eux savent de quoi ils parlent!

Tout cela est, en définitive, d’un ridicule qui ne convainc personne, démontrant une méconnaissance du fonctionnement des institutions tunisiennes, mais aussi gouvernementales tout simplement.

De beaux parleurs incapables et sans scrupules

Si le Premier ministre n’étonne plus par son amateurisme, son incompétence et ses arguments fallacieux, ce sont Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaafar qui nous choquent le plus, puisque d’un niveau intellectuel que nous pensions beaucoup plus élevé que celui de leur grand-frère Ghannouchi, et ayant des principes démocratiques et républicains affirmés, qui manquent à Ghannouchi et à ses hommes.

Une parlementaire du nom de Samia Abbou dont l’intelligence et les discours la distinguaient de ses collègues constituantes en foulard, aura terriblement déçu depuis qu’elle s’est ingéniée à défendre les prises de position unilatérale d’Ennahdha et qu’elle s’est crue obligée de justifier une décision injuste, infondée et dangereuse pour le pays; exactement comme faisait son mari Mohamed Abbou. Confirmant que ces deux là ne sont en fait que de beaux parleurs, comme leur chef Moncef Marzouki.

Défendre l’indéfendable c’est faire preuve d’un total manque de principes.

Or que fait cette dame pour sauver la face de son chef qui veut coûte-que-coûte la tête de M. Nabli? Elle l’accuse de haute trahison. Rien que ça ! Heureusement que le ridicule ne tue pas!

Il est vrai qu’on dit que si l’on veut noyer son chien, on l’accuse de rage.

Pourtant elle y met ses tripes mais ne convainc personne, car son discours et sa comédie frisant l’hystérie; au fond d’elle-même, elle sait qu’elle dépasse l’entendement. Dommage, car voilà un couple dont la crédibilité vient de prendre un bon coup, à vouloir jouer au petit soldat à son chef. Et ce sera justice si cela signerait la fin de leur carrière politique!

Toute cette histoire n’aurait été qu’une mauvaise farce si elle n’était pas révélatrice d’un dysfonctionnement d’une «troïka» où le parti dominant pense pouvoir dominer en tout. Ce qui confirme ses intentions d’installer une nouvelle dictature pour remplacer celle que les Tunisiens ont dégagée.

M. Nabli aura rendu un fier service à son pays où la crise s’est aggravée depuis la révolution. Ses pairs, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger, l’ont d’ailleurs salué pour avoir su maintenir la Tunisie à flot. Mais à son corps défendant, il aura rendu un autre service à son pays en mettant à nu la stratégie populiste que mettent en place Ghannouchi et ses hommes dans un but électoraliste, passant les intérêts de la Tunisie à la trappe et les objectifs de la révolution avec!

Les fossoyeurs de la république

Ce qui fait mal, c’est de voir à quel point les deux autres chefs de la «troïka» sont prêts à la compromission pourvu qu’ils aient l’ivresse du pouvoir et conservent le trône que leur accorde leur maître Ghannouchi. N’a-t-on pas dit que Mustapha Ben Jaafar et Moncef Marzouki ont contacté leur poulain pour remplacer M. Nabli, alors que celui-ci n’avait pas encre comparu devant les constituants, seuls habilités à juger de son sort, faisant comme si leur verdict leur était acquis et que l’éviction de ce monsieur était acquise d’avance?

En tout cas M. Nabli a été la monnaie d’échange pour rattraper l’autre couac de cette «troïka» qui a procédé à l’extradition de Baghdadi Mahmoudi, l’ex premier ministre de Kadhafi, acte contraire à toutes les règles et en tous cas aux doits de l’homme, si chers à M. Marzouki.

Si c’est ainsi que cette «troïka» pense gérer la maison Tunisie, il est du devoir de l’opposition de faire tout ce qui est nécessaire pour lui retirer cette gestion.

Quand à Mustapha Kamel Nabli, dont le patriotisme ne laisse aucun doute, il peut rejoindre d’autres hommes aussi patriotes que lui et désireux de tirer la Tunisie des serres de ceux qui n’ont qu’une idée en tête: détruire la nation tunisienne pour mieux la diluer dans le panarabisme cher à Marzouki et dans le panislamisme que prône Ghannouchi.

Pour convertir les Tunisiens au wahhabisme, le chef islamiste met tous les moyens: écoles coraniques, mosquées, imams, prédicateurs étrangers, multiplications d’émissions religieuses et de feuilletons télévisés religieux, autant de moyens mis au service du prosélytisme en faveur de cette obédience, qui n’est qu’un système politique totalitaire, et conformément aux désirs de ses commanditaires: le roi d’Arabie et son grand protecteur l’émir du Qatar.

Vidéo de l'intervention de M. Nabli devant l'Assemblée.

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