Les Tunisiens sont bien placés pour le savoir ce que les belles paroles sont devenues dans les faits! Alors de grâce, monsieur le président, trêve de discours! Des actes, si toutefois vous en avez le pouvoir!

Par Rachid Barnat


Après le couac provoqué par l’extradition de l’ex-Premier ministre de Kadhafi Baghdadi Baghdadi, qui s’est transformée en affaire d’Etat dans laquelle les deux têtes de l’exécutif tunisien se renvoyaient la responsabilité de cette initiative, les Tunisiens attendaient les explications du président provisoire. Marzouki a annulé, par deux fois, le rendez-vous pris pour donner son point de vue sur cette question; pour finir par faire un discours dont le fond soulève des questions.

Les milices d’Ennahdha à l’action

Avant cela, il faut rappeler quelques événements que tous les Tunisiens ont en tête et qui les sont sérieusement préoccupés pour ne pas dire inquiétés et révoltés.

Depuis l’arrivée au pouvoir de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir dominée par Rached Ghannouchi et ses hommes, les exactions de la milice d’Ennahdha, que les Tunisiens appellent faussement les salafistes, se sont multipliées.

Il y eut d’abord les événements dans les universités de Sousse, de Kairouan et de Manouba avec agression du corps enseignant, les attaques des journalistes et des médias, l’attaque contre l’Ugtt et ses locaux. A nouveau, après l’affaire Persépolis et l’attaque de la chaine Nessma TV, il y a eu une autre attaque en règle contre la télévision nationale et ses journalistes, l’attaque des intellectuels et des artistes dont la dernière en date, celle de la Marsa, a failli mettre à feu et à sang tout le pays. Un grand nombre de mosquées ont été prises en main par les salafistes sans que le pouvoir en place ne s’en émeuve. Bien au contraire, celui-ci autorise la venue de prêcheurs étrangers connus pour leur obscurantisme et leurs discours haineux pour diffuser des messages violents et attentatoires aux principes de la démocratie et des libertés. Il y a même eu, à plusieurs reprises, des appels au meurtre qui ne semblent pas déranger le gouvernement Ghannouchi.


Le Palais de Carthage vaut bien quelques concessions...

A travers toutes ces attaques, il est très clair qu’Ennhadha s’attaque clairement aux libertés qu’il cherche à limiter ou, pis encore, à contrôler pour imposer aux Tunisiens un mode de vie venu d’Arabie et du Golfe.

Tromperie, rideau de fumée ou plaidoyer pro-domo?

Face à ce qui s’est passé et que personne ne peut ignorer, le discours du président n’est qu’une entreprise de tromperie, un rideau de fumée ou un mauvais plaidoyer pro-domo.

Ce discours http://www.youtube.com/watch?v=dd-A5sU1H5U&feature=player_embedded révèle, en réalité, l’impuissance du président provisoire. Car de deux choses l’une: 
- ou Ghannouchi ne le consulte en rien et lui impose tout; ce qui serait «normal» puisqu’il lui doit d’avoir été élu et lui doit son poste de président comme ils en avaient convenu depuis leur exil en France. Ou pire;
- il le consulte et a son feu vert pour tout ce qu’il a entrepris pour détruire la nation et effacer l’identité tunisienne qu’elle soit religieuse ou nationale! Puisque Marzouki affirme que la démocratie fonctionne au sein de la «troïka». Si c’est le cas, comment peut-il prétendre encore être progressiste et démocrate… qu’il est pour la préservation des libertés et des droits de l'homme... alors qu’il est d’accord avec Ghannouchi qui n’a cessé de malmener ces valeurs et de bafouer ces principes?

Où était-il quand les hommes de Ghannouchi s’en prenaient aux journalistes, aux médias, aux syndicalistes, aux artistes, aux enseignants… Nous ne l’avions pas entendu condamner ces derniers quand ils livraient le pays aux prédicateurs obscurantistes et transformaient notre institution nationale la Zitouna en un sanctuaire du salafisme wahhabite; comme on ne l’a pas entendu protester contre la wahhabisation de la société tunisienne par les prêches en nos mosquées et par l’introduction de la burqa dans nos rues jusqu’à dans nos universités!

Bien au contraire, jouant de la langue arabe, M. Marzouki n’a rien trouvé de mieux que de stigmatiser les femmes libres et émancipées en les désignant par un mot savant («safirat») parce qu’elles refusent de porter voiles et burqa, symboles de l’asservissement de la femme par les hommes!

Pourtant, Marzouki, dans son alliance contre-nature avec Ghannouchi, et comme pour la justifier, assurait qu’il serait le garant des libertés, des droits de l’homme et du statut de la femme, en veillant à ce que son grand frère ne franchisse jamais les lignes jaunes. Or, toutes les lignes rouges ont été franchies sans que Marzouki et ses hommes n’aient levé le petit doigt !

La déconstruction de la nation tunisienne

Marzouki s’est bien gardé également de s’expliquer sur sa décision d’ouvrir les frontières de la Tunisie à tous «ses frères arabes» algériens, marocains, libyens, mauritaniens… voulant, par une décision manifestement improvisée, forcer l’Union du Maghreb arabe et au-delà réactiver le panarabisme.

Les Etats voisins concernés ont été, et c’est le moins que l’on puisse dire, peu enthousiastes, face à cette décision qui n’est pas de celle que l’on impose unilatéralement et qui ne doit être que la conséquence ultime de négociations et d’échanges.

Le président s’est bien gardé de s’expliquer, et notamment d’expliquer aux nombreux chômeurs tunisiens, ce qu’ils ont à gagner de cette ouverture des frontières!

Acte précipité, une fois de plus, confirmant un amateurisme très dangereux!

Et tous les discours de Marzouki n’y changeront rien!

Marzouki et ses hommes ont toujours minimisé toutes les atteintes à l’identité des Tunisiens aussi bien nationale que religieuse! Et pour calmer leur colère devant la vague de wahhabisation organisée par Ghannouchi et ses hommes, ils  trouvaient même des excuses, voire justifiaient qu’il n’y avait pas de quoi s’offusquer puisque notre identité est et restera «arabo musulmane», jouant sur les mots et surtout d’une notion vague dont beaucoup de Tunisiens ne saisissent pas le sens politique!

De qui se moque-t-on? Il faut bien voir ce que cache cette notion bateau d’«arabo-musulman»!

Cette notion vague cache, en vérité, des utopies que Marzouki et Ghannouchi caressent depuis le début de leur militantisme et veulent imposer aux Tunisiens pour réaliser leur vieux rêve ou plutôt leur vieille lune: le panarabisme pour le premier et le panislamisme pour le second. Pour cela, ils ont entrepris de déconstruire ce que Bourguiba a fait de mieux pour son pays: la nation tunisienne!

Il faut rappeler que Bourguiba clairvoyant, ayant compris l’origine du retard endémique dans lequel végétait le monde dit «arabo musulman» depuis des siècles et qui le prédisposait au colonialisme; il a compris à l’instar de Kamal Atatürk la nécessité d’extirper la Tunisie à ce grand magma pour en faire une nation indépendante!

Or que font Ghannouchi et Marzouki de concert? Le panarabisme et le panislamisme se donnant la main, ils remettent en question l’identité nationale tunisienne comme ils remettent en question l’identité religieuse des Tunisiens. Pour les remplacer par une identité vague «arabo-musulmane», qui maintenait les peuples «arabes» des siècles durant dans une léthargie les rendant colonisables!

Et ce, au nom de deux utopies nées au 19e siècle:

- le panarabisme http://fr.wikipedia.org/wiki/Panarabisme pour affirmer l’arabité des peuples sous domination ottomane face aux Turcs qui dominaient alors. Cette doctrine évoluera en d’autres courants comme le nassérisme (de Gamal Abdel Nasser), le youssefisme (de Salah Ben Youssef dont Marzouki et son père sont adeptes); mais qui se concrétisera dans le parti Baâth (Irak, Syrie..) avec le résultat que l’on sait; et

- le panislamisme http://fr.wikipedia.org/wiki/Panislamisme qui, à l’origine, se voulait un mouvement libérateur du colonialisme français et anglais, et qui, en  s’organisant, a donné naissance aux Frères Musulmans instrumentalisant la religion pour mieux résister aux colonisateurs.

Bourguiba, lucide et clairvoyant, a compris qu’il ne pouvait compter sur deux idéologies désuètes, et adopte le nationalisme. Pour cela il jettera les bases nécessaires pour construire une nation nouvelle: la Tunisie nouvelle! Il va tout faire pour unifier ce peuple en affirmant l’identité tunisienne autour de valeurs communes et des symboles républicains forts tels que le drapeau national, l’hymne national, des fêtes nationales marquant une histoire commune propre au peuple tunisien: 9 avril (fête des martyres), 20 mars (fête de l’indépendance), 1er juin (fête de la victoire)… et par les écoles républicaines qu’il a fait ouvrir à travers tout le territoire de la république avec une politique de scolarisation massive et obligatoire pour tous les petits Tunisiens !   
Or, qu’attendre encore d’un président qui a avalé les couleuvres de son grand frère Ghannouchi sans broncher ou dont il partage les objectifs mais qui aura trahi ses électeurs quand il se prétendait défenseur des droits de l’homme et leur cachait son panarabisme?

Les Tunisiens le jugeront sur les faits, car ses belles paroles ils en ont soupé!

Et ce discours de «mise au point» n’est qu’une parade pour faire oublier le forfait de l’homme des droits de l’homme: Baghdadi Mahmoudi a bel et bien été remis à ses bourreaux, en dépit des règles élémentaires qu’appliquent tout pays vraiment soucieux des droits de l’homme et que ce président ne peut ignorer puisqu’il met toujours en avant son militantisme droit-de-l’hommiste!

Qu’a-t-il fait devant le camouflet qui lui a été infligé? Rien.

Marzouki semble se réveiller quand il nous énumère ce que doit faire ce gouvernement quand il évoque la nécessité de relancer l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) et fixer les dates de remise de copie de la nouvelle constitution comme celle des élections! Alors que, des mois durant, il n’en a pipé mot !

Ce que ces belles paroles sont devenues

Que ne les a-t-il réclamés plus tôt pour permettre la concrétisation de la deuxième phase pour l’instauration de la démocratie, lui qui nous assurait rester à son poste au moins 3 ans pour résorber les crises que traverse la Tunisie.

Goguenard et sans aucune pudeur, Marzouki claironnait qu’il est le premier président légitime de la république tunisienne. Ce qui a beaucoup choqué quand on sait qu’il n’est élu qu’avec 7.000 voix, qui plus en est, en tant que constituant et non comme président de la république, poste d’ailleurs qu’il doit plutôt à son ami Ghannouchi qu’au suffrage des Tunisiens !

Faut-il lui rappeler qu’à sa prise de fonction, il demandait une trêve de 6 mois et qu’en cas d’échec il démissionnerait? Or, au journaliste qui lui a rappelé cet engagement en sa faillite, il assurait qu’il ne démissionnera jamais!

Que doit faire ce président provisoire? De deux choses l’une:

- ou il est un président potiche et sans pouvoir et il n’a pas besoin de parler car ses discours n’auront aucun effet;

- ou il dispose de pouvoirs et il faut qu’il le montre non par des discours mais par des actes et qu’il mette un terme aux dérives du gouvernement et d’Ennahdha qui le domine.

Les discours en politique, chacun sait ce que cela vaut! Que l’on se souvienne seulement du magnifique discours de Bouteflika devant le parlement français, du discours du Caire d’Obama adressé au monde arabe ou de celui de Ben Ali juste après sa prise de pouvoir!

On sait et les Tunisiens sont bien placés pour le savoir, ce que ces belles paroles sont devenues dans les faits !

Alors de grâce, monsieur le président, trêve de discours! Des actes, si toutefois vous en avez le pouvoir !

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