L’extradition de Baghdadi Mahmoudi arrange les gouvernements de trois pays: l’ex-gouvernement Sarkozy pour la France et les deux actuels gouvernements «révolutionnaires» de Tunisie et de Libye.

Par Abderrazak Lejri


La  crise politique en Tunisie a atteint son paroxysme depuis l’extradition du premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi et les députés de l’opposition, et même certains députés de la «troïka» au pouvoir (CpR et Ettakattol), ont même tenté déposer vendredi une motion de censure contre le gouvernement dominé par les islamistes, qui a opéré en catimini, dimanche à 5 heures du matin, sans obtenir la signature du président Marzouki et sans l’assentiment de l’Assemblée nationale constituante (Anc).

Ennahdha agissant en pays conquis

Les ténors du parti Ennahdha (au pouvoir) ont justifié par des arguments cousus de fil blanc le timing, affirmant que le président Marzouki n’était pas joignable au sud dans une zone de non couverture Gsm et, le comble, est que M. Mahmoudi a été extradé d’un aéroport militaire, qui dépend normalement de Marzouki, chef suprême des armées (probablement la seule prérogative qui lui a été laissée par le parti islamiste Ennahdha agissant en pays conquis et ne respectant ni l’opposition ni ses partenaires ni aucune institution).

Le plus grave est qu’il devient évident que dans les trois pays concernés par cette affaire (la  France, la Tunisie et la Libye), tout est affaire  de gros sous.

En France, bien-sûr, où il y a de fortes présomptions de financement occulte de la campagne électorale de l’ex-président de la république française Sarkozy. Je ne m’étalerais pas là-dessus car cela a été traité par d’excellents billets parus sur le site Médiapart.

En Tunisie, des documents font état d’une transaction portant en contrepartie de cette extradition de:

- l’octroi par la Libye d’un don de 100 millions de dollars;

- l’octroi d’un crédit d’un montant équivalent sans intérêts;

- la fourniture du gaz à tarif préférentiel.

Le chantage halal version Ennahdha

Le comble est que le ministre des Finances sur un plateau télé et à une heure de grande écoute a reconnu explicitement la transaction ayant même le culot et l’effronterie d’affirmer que la politique n’est pas une question de morale mais d’intérêts!

Cela avait déjà commencé quand  un  membre du bureau politique d’Ennahdha, Saïd Ferjani, s’est déplacé personnellement en France pour essayer de faire un deal dans ce sens (voir l’article de Médiapart ‘Chantage d’Etat autour de fond secrets libyens’’ qui note qu’un leader islamiste tunisien a rendu visite, le 5 mai, à Paris, à Me Marcel Ceccaldi pour lui proposer une «négociation globale»).

Ce même Saïd Ferjani a reconnu les faits et affirmé aux médias qu’il a agi de son propre chef (sic!), ce qui prouve que chez les islamistes d’obédience wahhabite (Arabie Saoudite), l’argent même sale extorqué par le chantage n’est pas tabou pourvu qu’il soit blanchi pour devenir halal surtout si on envisage de renflouer une cagnotte en vue de la prochaine campagne électorale d’Ennahdha, cette fois-ci après le financement présumé de la campagne de Sarkozy.

Les membres du gouvernement tunisien nous prennent pour des idiots en parlant d’indépendance de la justice en Libye ou de garantie d’un procès juste et équitable, surtout que l’on connaît l’absence d’institutions dans ce pays, à part les comités populaires de Kadhafi. Pour ne prendre que deux exemples qui illustrent le chaos en Libye: les détenteurs du fils de Kadhafi, Seif El Islam, refusent de le transférer à la partie censée le juger légalement et des membres du Tribunal pénal international (Cpi) sont arrêtés par des  milices pour une raison obscure.

Les militants d’Ennahdha savent pourtant que des pays comme la France ou l’Angleterre et j’en passe, s’ils les avaient extradés vers la Tunisie sous le régime de Ben Ali, les exilés parmi eux auraient croupi longtemps dans les prisons tunisiennes après d’ignobles tortures.

Le nouveau partage des richesses de la Libye

En Libye enfin, il n’échappe à personne c’est que la révolution-Otan-Bhl n’est qu’un coup d’Etat sous la houlette de l’ami Abdeljalil, ex-ministre de la Justice de Kadhafi et président du Conseil national de transition (Cnt) libyen, et que les intérêts bien compris énoncés, bien avant l’intervention armée des maîtres France-Angleterre-Usa, étaient l’ossature du deal pour un nouveau partage des richesses pétrolières et gazières de la Libye.

Tout le monde sait aussi que Baghdadi Mahmoudi dispose, outre des codes des fonds secrets libyens, des preuves de corruption de la majorité des successeurs de Kadhafi actuellement au pouvoir.

Il y a fort à parier que l’ancien Premier ministre de Kadhafi (dont il ne s’agit pas d’excuser les crimes avérés) va subir les pires tortures et sévices qui vont  permettre d’un côté de faire avouer à un cercle restreint du Cnt tout ce qui est utile aux nouveaux maîtres du pays, et, de l’autre, d’être empêché d’avouer ce que le commun des mortels ne doit pas savoir sur ces mêmes nouveaux maîtres.

Donc, l’extradition de Baghdadi Mahmoudi (il est plus approprié de parler de rapt tant les conditions n’ont respecté aucun aspect juridique national ou international), induisant une omerta et des aveux forcés, arrange les gouvernements des trois pays: l’ex-gouvernement Sarkozy pour la France et les deux actuels gouvernements «révolutionnaires» de Tunisie et de Libye.

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