Réponse à l’article de Rachid Barnat ‘‘L’Andalousie, le faux paradis perdu des salafistes’’ paru dans Kapitalis, de peur qu’il puisse tromper quelqu’un par ses inexactitudes.

Par Dr. Ahmed Bouazzi


Un lecteur neutre trouve que l’article est plein d’agressivité contre les musulmans et de négations de leur Histoire, il commence par dire que «l’âge d’or de la civilisation «arabo-musulmane» [est un] … phantasme des nostalgiques qu’ils n’ont connu qu’à travers les légendes qui, comme toutes les légendes, embellissent et falsifient l’histoire.»

Ce premier jugement, qui prétend que la civilisation andalouse du Moyen Age est une falsification de l’Histoire et une légende (donc inexistante), rejoint le jugement de Claude Guéant, ministre français de l’Intérieur de Sarkozy qui a mené une campagne électorale islamophobe sur la base de «l’infériorité de la civilisation musulmane par rapport à la civilisation française». On dirait que l’article a été écrit pour plaire à ces gens-là et pour leur donner des arguments prouvant la supériorité de leur civilisation.

Des préjugés développés par les islamophobes

Notre «historien» continue en disant que «le déclin des Arabes en Andalousie est une longue histoire commencée depuis longtemps [il ne dit pas depuis quand] et qui a vu se développer des guerres entre les Arabes eux-mêmes [fait-il remonter le déclin à l’an 750?]»

Se croyant meilleur historien qu’Ibn Khaldoun lui-même, il ajoute que, pour détrôner une dynastie au pouvoir, les nouveaux prétendants «leur reprochent de n’être pas de bons musulmans». Il ne donne aucun exemple pour cette affirmation gratuite, aucune date, rien. Seulement son idée reçue. Pourquoi? Uniquement parce qu’il ignore tout sur cette période. Mais il en tire une conclusion ô combien scientifique: «C’est ce que font les islamistes aujourd’hui». Voilà le but de tout son article. La cause de la chute de Grenade ce sont les islamistes de Ghannouchi.

Je ne vais pas reprendre tous les paragraphes de l’article un à un, parce ce qu’ils n’expriment que des préjugés développés par les racistes islamophobes. Il y développe les idées du genre qu’il y a des gens qui prétendent que la Reconquista est due au fait que les musulmans d’Andalousie n’étaient pas de «bon musulmans» (d’où a-t-il tiré ça? il ne le dit pas), que «la pratique de l’islam n’était en réalité que prétexte pour éliminer ses concurrents!» (merci pour les musulmans pratiquants), que s’il y a aujourd’hui des vestiges d’une grande civilisation en Espagne c’est que «pendant une période, Arabes, Juifs et Chrétiens ont partagé leur connaissance» (sous-entendu, les Arabes ne peuvent que profiter de la connaissance des Juifs et des Chrétiens), et j’en passe.

L’ignorance de l’auteur de l’article ne s’arrête pas là, il prétend que les salafistes d’aujourd’hui «ont pris exemple sur le calife Omar, le premier à avoir usé de l’épée pour prendre le pouvoir». Visiblement, il n’a lu aucun livre d’histoire sur l’islam; il n’a même pas consulté Wikipédia. Il y aurait trouvé qu’Omar a pris le pouvoir après la mort naturelle de son prédécesseur, Abu Bakr et avec le consensus de l’élite politique de l’époque.

Le but de son article étant un règlement de compte avec les salafistes tunisiens qu’il accuse «d’imposer l’ostentation de la foi par la violence, [pour] s’assurer la soumission et le contrôle d’un peuple», il aurait pu se limiter à ça. Malheureusement, il s’est attaqué à l’Histoire qu’il ignore, montrant une islamophobie qui détruit ses arguments et que les salafistes utiliseront pour se mobiliser contre la société civile.

La vérité sur le «paradis» andalou

Dans cette «étude» historique, il a comparé deux période de l’Histoire de l’Espagne, la période arabe dont il dit que «le ‘‘paradis’’ [andalou] n’a existé, pendant quelques temps, que lorsque la tolérance régnait et que les trois religions du Livre ont pu cohabiter en paix». Il oppose à la période musulmane une période catholique avec ses conversions forcées au catholicisme, dont il ne dit pas qu’elle, au contraire, était intolérante ou fondamentaliste, il la trouve plutôt sympathique, puisque, d’après lui, elle «entraînera une débauche dans la foi ostentatoire [qui] va marquer tout un peuple au point de devenir de nos jours, dans ce pays apaisé, le folklore majeur des Espagnols, dont Séville détient la plus belle manifestation avec la procession impressionnante des pénitents.» On est tenté de crier «Vive la Reconquista! Vive le catholicisme!». D’ailleurs, «l’imposition de la foi ostentatoire par la violence» ne peut pas être reprochée aux catholiques mais seulement aux musulmans.

Le pire c’est qu’il s’appuie sur un film de fiction pour parler d’Ibn Roshd. S’il est vrai que les livres d’Averröes ont été brûlés, ils l’ont été par l’Eglise catholique qui opposait les idées de Platon à celle d’Aristote défendues par Averröes.

En réalité, la disgrâce d’Ibn Roshd en terre d’islam est due à des raisons bassement terrestres. Abdelwahid al-Marrakushi a écrit en 1224 un livre intitulé ‘‘Al-Mûjib Fi Talkhi al-Maghrib’’, que je conseille à l’auteur pour qu’il puisse y trouver des informations qui ne viennent pas d’orientalistes mal intentionnés. Il y raconte que la disgrâce d’Ibn Roshd est due à une malheureuse phrase dans le commentaire sur  le livre d’Aristote ‘‘Histoire d'animaux’’ où il a écrit: «et j'ai vu la girafe au jardin du roi des Berbères» parlant du jardin de Yaâqub Al-Mansour, sans le glorifier et observer le protocole habituel dû au sultan. Ses pairs à Cordoba qui étaient jaloux de son savoir et de sa notoriété sont allés raconter ça au Sultan et lui ont présenté une page écrite de la main d’Ibn Roshd sortie de son contexte où il était écrit que «et il est montré que Vénus est un des Dieux», le Sultan s’était fâché et l’a exilé. Après un court exil d’un an et demi, il est rappelé à Marrakech où il reçoit le pardon du sultan.

Par contre, Averroès avait généralement mauvaise presse auprès du clergé catholique et de la papauté en particulier, certains papes ayant voulu souvent le censurer. Léon X de Médicis le déclara hérétique en 1513 et le déconseilla fermement aux fidèles.

Combattre les salafistes et être fier de l’islam

S’il est légitime de combattre les idées des salafistes, on n’est pas obligé de mépriser sa propre Histoire et les siens pour plaire aux islamophobes. L’auteur doit sûrement ignorer que l’Andalousie faisait partie du Maghreb culturellement et souvent politiquement, nous avons la même calligraphie de l’arabe et la même manière d’écrire les chiffres «arabes».

Sans être islamistes, nous sommes fiers de notre civilisation. Son Histoire nous appartient autant qu’aux autres Tunisiens quelle que soit leur orientation politique ou leur croyance religieuse, l’avilir ou la rabaisser ne fera que nous avilir et nous rabaisser, et le fait de plaire à Claude Guéant n’affaiblit pas les salafistes, au contraire.