Une œuvre d’art intitulée ‘‘La république Islaïque de Tunisie’’ suscite une polémique et provoque une tache dans le Printemps des Arts, qui se déroule à La Marsa du 1er au 10 juin.

Par Walid Alouini*


Le Printemps des Arts qui se tient à la Abdellia à La Marsa a été comme décrédibilisé.

Un magnifique événement qui en est encore au stade embryonnaire mais prometteur avec des galeries proposant une palette d’œuvres très éclectique.

Une œuvre «politiquement incorrecte»

A l’origine du dérapage du Printemps des Arts non pas un commando barbu ou un fonctionnaire zélé et tatillon mais bien une autocensure de la part des organisateurs et une réaction volcanique de la part des organisés.

J’ai prévu dans un récent écrit que cette méga exposition serait dans le collimateur mais loin de moi l’idée que cela serait un hara-kiri.

L’autocensure, vaccinée chez nous dès l’enfance, consiste à se préoccuper de ce que pourrait penser l’autorité de nos actes et d’anticiper sur cette hypothèse en censurant l’écrit, l’image, l’œuvre en un mot.

Un jeune artiste a réalisé des montages-collages représentant, selon lui, la Tunisie actuelle et cela a donné: ‘‘La république Islaïque de Tunisie’’ comme slogan et une croix traversant toute l’œuvre englobant notre croissant étoilé en haut et l’étoile de David en bas.

Voici l’arme du crime. Une œuvre sans prétention mais qui a le droit à une possible vie que seul le public est en droit de lui donner ou ôter.

Il s’est entendu dire par l’organisateur qui avait visé et sélectionné lesdites œuvres avant l’exposition qu’il fallait qu’il les décroche pour le passage de la télévision car elles pourraient être jugées «politiquement incorrectes».

Tollé de la part de l’artiste en question. Réaction non respectueuse de la forme mais compréhensible dans le fond.

Nous torpillons nos espaces de libertés

Solidarité de la part du reste des artistes compréhensible dans la forme.

Résultat: œuvres décrochées, lumières éteintes et ambiance pourrie.

Les barbus peuvent nous remercier chaudement: nous faisons leur travail plus efficacement qu’eux, torpillons nos espaces de libertés en toute sérénité et contribuons à couler encore plus ce pays qui attend de nous plus de sagesse, de respect et de solidarité.

La sagesse aurait voulu que la sélection des œuvres soit le garant de la «tranquillité» de l’artiste, au lieu de cela un revirement de la part des organisateurs totalement injustifié qui a mis le feu aux poudres.

Le respect aurait voulu que l’artiste en question ait fait preuve de retenue quant à sa réaction.

La solidarité est une belle preuve d’humanisme et d’empathie, elle doit aussi être réfléchie et ne pas arriver au résultat inverse de celui escompté.

Au-delà de cette bévue où tous les acteurs ont été légers, il me semble que notre pire ennemi reste nous-mêmes. Avec nos peurs, notre historique de culpabilité éternelle et notre aptitude à devancer les désirs de castration de nos bourreaux et de ceux que nous avons placés à la tête de l’Etat. Nous sommes et restons le plus grand danger pour ce pays avec notre boulet d’autocensure.

En face nous avons des gourous et des endoctrinés bourrés de certitudes et qui n’hésitent pas à employer la manière forte pour nous contraindre encore et encore à restreindre nos espaces de vie et de libertés. Eux pratiquent la castration avec un gourdin pour anesthésique. Eux n’ont pas peur d’imposer des modèles forts rétrogrades, dénués de bons sens et complètement à contre-courant du sens de l’Histoire. Ils les défendent en nous agressant verbalement, physiquement et intellectuellement.

Allons-nous encore céder à l’intimidation directe et souterraine? Ne nous leurrons pas, il y aura toujours un gouvernement en place avec une idéologie qui sera en opposition avec une partie de celle de la population. Devrons-nous, à chaque fois, arriver à une guerre civile?

Nous bâillonner pour asseoir leur pouvoir

Les gouvernements passent (et celui là encore plus que les autres), les valeurs perdurent.

Nous défendons des valeurs fondamentales pour l’humain: la liberté avec tous ses corollaires, le respect, la solidarité et la dignité.

L’Etat défaillant (mais ça on le savait) laisse sa branche dure organiser les représailles vis-à-vis de la population et compte sur notre culpabilité millénaire pour que nous baissions la tête encore et l’aidions dans sa sale besogne à savoir nous bâillonner le temps qu’il faut pour asseoir leur pouvoir. Il en sera toujours ainsi. C’est la règle du jeu.

A nous de faire rempart contre ceux que nous élisons et de leur faire savoir que leur fauteuil est une location de courte durée que nous leur consentons. A défaut, nous saurons les en faire déguerpir. Action réaction.

Reste que nous devons apprendre à contrôler l’autocensure qui germe en nous et ne pas avoir peur de proclamer notre différence salvatrice et essentielle à notre renaissance. La différence choquante au début est la seule richesse d’une nation. Que serait une nation faite de clones?

La pire des choses à faire serait de faire avorter cette merveilleuse initiative qu’est le Printemps des Arts.

L’art, je le dis et répète, est le vecteur majeur de la renaissance; il tire vers le haut les politiques en les incitant à réfléchir en dehors de leur filtre naturel; il tire vers le haut un peuple entier en lui donnant une trame, une vision, un chemin et une histoire.

Il faut raison garder et continuer à suivre la voie éclairée qui est timidement amorcée.

Ce printemps artistique ne doit pas déboucher sur la toundra comme ce fut le cas du printemps arabe

Cela est notre responsabilité, nous citoyens libres.

*- Managing Director.


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